Episode 3

Sortiarius

Précédemment dans Sortiarius :

« Lors du précédent épisode, Absalon, le quatrième sortiarius, fit son apparition sous l’Arc de Triomphe. Accompagné de nuées de colibris porte-épée, il utilisa sa pierre philosophale ratée pour métamorphoser en or tout individu se trouvant à proximité.

Cela terminé, il transforma la flamme du soldat inconnu en forge d’éther, afin de s’en servir dans la création de wendigos. Pour ce faire, il fit appel à un golem titanesque nommé gardien d’éther. Celui-ci transporta jusqu’à la flamme, une dans chacune de ses mains, les personnes changées en or par les soins de son concepteur. Projetées tour à tour dans le brasier au fur et à mesure de ses voyages, celles-ci donnèrent naissance auxdits wendigos.

Concluant alors son intervention, Absalon annonça l’arrivée de la dernière des cinq sortiarius. Mais que leur réserve-t-elle donc ? »

Épisode 3 : Le nombre de sang.

Le 16 juillet : Chronique de Yuro

Le discours fait par le dénommé Axel avait entraîné un mouvement de panique de la population. Il y avait les deux extrêmes, à savoir ceux qui tentaient de fuir le pays et ceux qui s’étaient confinés chez eux.

En ce qui me concerne, le choix pour moi avait été de rester dans les locaux de l’entreprise dans l’attente de la suite des évènements. Je jugeais probable que la dernière des cinq sortiarius se présente à nous par l’une des deux manières qui avaient été utilisées par ces congénères jusqu’à présent. Plusieurs heures s’écoulèrent sans que rien n’arrive. Je songeais à rentrer chez moi quand soudain l’écran de la télévision du bureau s’alluma. Je me souviens être resté figé sur place, la gorge nouée à l’idée de ce qui allait bien pouvoir se passer…

La première chose qui apparut à la télé fut le gros plan d’un visage empreint d’une joie sans bornes. Ses yeux étaient d’un bleu resplendissant et on pouvait voir la partie supérieure de son nez. Des cheveux capucine longs et intensément ondulés retombaient par mèches sur les flancs gauche et droit de son visage. Sa peau avait quant à elle une texture comme je n’en avais encore jamais vu. Elle était maillée, pas suffisamment pour que ce soit visible de loin, mais assez pour nous sauter au regard de près.

« Alors, voyons voir ! Est-ce que ça marche ? Vous m’entendez ? Ah, non ! C’est vrai, ils ne peuvent pas me répondre ! En tout cas, que la transmission fonctionne ou pas, on va faire comme si ! Ah, oui ! J’oubliais ! Moi, c’est Apollonia ! Enfin, pour vous autres, ce sera Apolline, hein ! C’est pas comme si on avait gardé les cochons ensemble, pas vrai ? »

Faisant un tour sur elle-même avec dans ses mains l’appareil qui la filmait, elle s’était écriée en le projetant dans les airs :

« Vol colibri, vol ! Waouh ! »

Nous ne voyions rien tellement l’image était floue au cours de cet instant. Ses déplacements étaient trop rapides pour que leur diffusion puisse être nette. Ainsi, il s’agissait bien encore de ces volatiles de malheur… C’était évident avec le recul. Ces gens-là n’étaient pas du genre à se servir d’une caméra.

Se maintenant en vol stationnaire au-dessus de la sortiarius, l’oiseau nous permit de mieux voir à quoi exactement celle-ci ressemblait.

Elle portait des ballerines rouge groseille et un chemisier hippie de couleur garance et albâtre. Sa jupe boule, conçue dans les mêmes teintes que son haut, laissait à penser qu’ils provenaient tous deux d’un même ensemble. Ses lèvres et ses ongles n’étaient pas maquillés, ce qui associé à sa tenue me poussait à croire que nous n’avions pas affaire à quelqu’un qui faisait de son apparence l’une de ses priorités.

De plus, le fait qu’elle se serve de l’un des porte-épée de cet Axel pour communiquer avec nous témoignait de l’évidence du rôle central que cet homme avait dans leur plan.

Redescendant à son niveau, l’oiseau artificiel ne la quittait pas des yeux. Du coup, nous non plus par extension. D’ailleurs, l’estomac serré, l’intégralité des Français devant leur télévision se demandait quelles terribles annonces cette Apolline s’apprêtait à nous faire. Ah, pour cela, nous n’étions pas près d’oublier son nom…

« Bienvenue dans la commune de Plaisir située dans les Yvelines en région d’Île-de-France. Nous allons commencer la visite ! Oh, je suis tout excitée ! Venez plutôt ! Suivez-moi ! »

Sautillant gaiement, elle se mit à avancer, le colibri la talonnant sans jamais la perdre de vue. Ce faisant, nous réalisâmes qu’elle et l’oiseau se trouvaient sur un sentier de forêt.

« Alors ici, avait-elle dit en projetant son bras gauche vers la droite afin de faire volteface sur son élan, c’est la forêt de Sainte Apolline. Celle de moi, quoi ! Regardez comme elle est jolie ! On pourrait y vivre des siècles durant, non ? »

Pivotant sur ses talons, elle se remit alors à progresser le long du chemin terreux sur lequel elle se trouvait. Sautillant de plus belle, elle semblait inarrêtable. Elle continua ainsi pendant environ une petite dizaine de secondes, puis se stoppa nette.

« Ah oui ! J’oubliais, s’était-elle exclamée en se retournant vers le porte-épée. »

Se précipitant vers lui avec un sourire émoustillé, elle le saisit dans ses mains, lui cachant la vue par la même occasion.

« Il ne faut surtout pas que vous voyiez ce qu’il se passe plus loin, cela gâcherait la surprise ! Et puis, il ne faut pas que vous entendiez non plus, avait-elle précisé en bouchant les canaux auditifs du volatile. »

Par la suite, nous restâmes plusieurs minutes dans le noir et sans le son, nos inquiétudes grandissant à chaque instant. Il était évident que celle-là était détraquée. Savoir que ses congénères l’avaient chargée de la gestion de la démographie était des plus préoccupant. Avec ce genre de personnage, il était difficile de prédire à quoi s’attendre…

« Voilà ! Voilà, s’était-elle soudain écriée en retirant ses doigts des conduits auditifs du colibri. Nous y sommes ! Alors, je vous préviens, il est interdit de tricher ! À trois, je libérerai l’oisillon, vous n’aurez alors plus qu’à profiter du spectacle. Attention ! Je dis un ! Après, je dis deux, ouais ! Et ensuite, c’est le… Tadadadadadam… Roulements de tambours ! Trois, youpi ! »

Au même instant, la lumière réapparut à l’écran pour laisser place à la vue d’un immense bûcher incandescent sur lequel étaient carbonisés des dizaines de corps. Des essaims de porte-épée volaient inlassablement en cercle autour des flammes, empêchant ainsi ces dernières de s’étendre jusqu’aux arbres alentour.

Une fois encore, ces créatures artificielles entraient en scène. Je commençais vraiment à me demander si leur créateur n’était pas la pierre angulaire du plan des sortiarius. Il y avait sincèrement matière à s’interroger. Néanmoins, une petite voix dans ma tête me disait que quelque chose clochait dans mon raisonnement. Peut-être était-il plus probable que les créations de cet Axel ne soient en réalité que la partie émergée de l’iceberg.

« Yahoo, s’était-elle exclamée en pivotant sur elle-même les bras tendus de gauche à droite telles deux pales d’un rotor d’hélicoptère. Avec tout ce feu, je parie que dans leurs derniers moments, ils n’ont pas eu froid aux yeux ! En tout cas, moi, leurs supplices m’ont laissée de glace ! Haha, s’était-elle esclaffée, vous avez compris le jeu de mots ? »

Quelle femme odieuse… Comment osait-elle plaisanter à propos de si innommables horreurs ? Ces gens étaient morts et je l’espère pour eux tués par la fumée du bûcher.

« Vous savez, avait-elle ajouté en esquissant un large rictus, il faudra vous y habituer. Ce sera de bonne guerre après ce que mon peuple a vécu. Allez, c’est parti ! À compter d’aujourd’hui, ce seront mille feux de joie par jour en France. Quatre-vingts frangibles pour chacun d’entre eux tous les soirs. Voilà de quoi illuminer nos nuits ! Vous danserez autour du feu et à la fin dans le feu ! En plus, cela rime ! Elle n’est pas belle la vie ? Ce seront les feux de la Saint Jean sans Jean ! »

Cela dit, elle se mit à pouffer de rire dans l’un de ses poings.

« Bon alors, qu’est-ce que j’ai oublié de dire ? Ah oui, j’ai fait mes calculs ! Je ne veux en moyenne pas plus de trente-deux virgule six habitants par kilomètre carré sur tout le territoire Français, soit environ vingt millions d’individus au total. Le même taux sera imposé par la suite aux autres pays du monde. Et ouais, ce sera la fiesta chez les Chinois et les Indous ! J’ai hâte de me montrer inventive, avait-elle précisé en se tenant le menton à l’aide de sa main gauche. »

Mille feux de quatre-vingts personnes chaque soir, cela ne faisait pas moins de huit millions de morts par tranche de cent jours. C’était tout bonnement monstrueux…

« On dirait bien qu’ils sont cuits, avait-elle repris en fixant les flammes léchant les os calcinés des victimes. Oh, flûte, s’était-elle tout à coup exclamée prise de panique. »

Se tournant frénétiquement de gauche à droite, elle semblait chercher quelque chose d’important.

« Dites-moi, vous n’auriez pas vu ma baguette magique par hasard ? Oh non ! Je sais… J’ai dû la faire tomber dans le feu ! Il n’y qu’à moi que cela arrive, ce genre de coups foireux… »

Se précipitant vers le bûcher, elle tenta de pénétrer dans sa fournaise, mais sa chaleur excessive l’en empêcha. Perdant en partie son sang-froid, elle se mit alors à s’agiter autour des flammes avant de s’arrêter nette dans son élan et dire :

« Houla ! J’oubliais… Je n’en ai jamais eu… »

Éclatant d’un rire nerveux, elle avait ajouté visiblement gênée :

« Je me fais avoir à chaque fois. Malik a raison, il faut que j’arrête de lire ces mythes et légendes sur la sorcellerie. À ce rythme, je vais finir par me chercher un balai et un chat noir ! J’aurais l’air maline face aux autres… Bon, avait-elle ajouté en nous pointant du doigt à travers le regard du volatile, pour me faire pardonner, je vais vous parler de cet endroit. »

Cette femme me suscitait une peur bleue, tant elle me paraissait imprévisible. Elle passait son temps à nous dire tout ce qui lui passait par l’esprit. Et puis, c’était quoi cette histoire de baguette ? On aurait dit une folle échappée d’un asile psychiatrique. Le pire étant que j’étais persuadé du fait qu’elle ne s’était pas jouée de nous. Elle avait réagi dans un naturel qui semblait lui être propre. Et là, elle allait s’improviser guide touristique… C’était un coup à me rendre fou.

« Une chapelle fut bâtie ici même au treizième siècle par des moines et aurait abrité une partie de mes reliques. De nombreux pèlerins s’y rendirent durant plusieurs centaines d’années, ce qui n’empêcha pas les lieux d’être détruits au dix-huitième. Tous ces bons vieux caucasiens de merde avec leur gros pif n’ont rien trouvé de mieux à faire au dix-neuvième siècle que démarquer l’emplacement où elle se situait par une allée de six tilleuls. Vous y croyez, vous ?  Quoique, je suis née en Grèce. Moi aussi, j’ai un nez qui pourrait décapsuler une bouteille. Vous voyez ces narines, avait-t-elle précisé en soulevant la pointe de son nez avec l’un de ses doigts. Du coup voilà, quoi… On peut me dire comme eux, même si je suis partie vivre à Alexandrie. Enfin, c’est une longue histoire, hein ! Cela, c’était avant que je ne me tue… Wouh, que d’émotions ! »

Cette femme était tout simplement surréaliste. Je me serais tordu de rire, si la situation n’avait pas été aussi grave. L’instabilité mentale de cette sortiarius risquait de nous poser des problèmes par la suite.

« Et oui, je suis Sainte Apolline, j’ai été canonisée en 1634. À mon insu, sinon cela n’aurait pas été drôle. Par contre, détrompez-vous, ils ne m’ont pas placée dans un canon avec lequel ils ont fait feu en direction de Plaisir, ce qui, je vous l’accorde, aurait justifié la présence de mes reliques dans cette forêt. D’ailleurs, je me demande bien lesquelles c’était… Je… »

S’interrompant soudain, elle se mit à fixer quelque chose qui apparemment se trouvait derrière le colibri. Reculant près des flammes, les bras croisés contre le torse, elle semblait prise au dépourvu par ce qui lui arrivait. Entrant tour à tour dans le champ de vision du porte-épée, plusieurs policiers pointaient leur arme à feu sur elle. Ils avaient dû être attirés par la fumée qui très certainement remontait au-dessus des arbres de la forêt.

« Qui êtes-vous, s’était écrié le premier. C’est vous qui avez fait cela ?

– Si vous regardiez la télévision, vous le sauriez, lui avait-elle rétorqué avec aplomb.

– Regarde ces oiseaux, s’était exclamé l’un de ses collègues, tu les reconnais ? C’est l’une de ces sortiarius, j’en suis sûr.

– Toi, avait repris l’autre en la visant de plus belle, tu seras notre trophée. Cela va couper à tes petits copains l’envie de nous chercher des crosses.

– C…Ce n’est pas ma faute, avait-elle bafouillé alors qu’ils l’encerclaient du mieux qu’ils le pouvaient, c’est celle des quotas. Vous voyez, je suis innocente…  Et puis, vous ne frapperiez pas une sainte, tout de même ? Vous entendez ? Je suis Sainte Apollonia ! C’est moi la reine des sorcières ! »

Au même instant, son corps tout entier vola en éclats, emporté par un maelström de fils faits dans une sorte de laine dont il était lui-même la source. Voilà qui expliquait le maillage apparent de sa peau si étrange. J’en déduisais aussi que ses vêtements, ballerines comprises, étaient sans nul doute faits dans le même matériau.

Tourbillonnant dans tous les sens, les fils étouffèrent les flammes du bûcher, tranchant en deux tout ce qui rentrait en contact avec eux. Rien ne fut épargné, si bien qu’après seulement quelques secondes, il ne resta plus grand-chose de l’essaim de porte-épée ni même du bûcher et ses corps carbonisés. Les policiers ne firent hélas pas exception à la règle. Ils eurent beau essayer de tirer, ils ne laissèrent derrière eux que des morceaux sanguinolents au sol.

J’ai souvenir d’avoir été stupéfait de constater à quel point elle n’avait aucune considération envers les créatures à son service. Pas plus d’ailleurs pour les victimes qu’elle avait fait brûler.

Et puis, quel genre de folie était-ce donc que cette magie ?

Balayant l’espace tout autour d’eux pendant encore quelques secondes, les fils finirent par se rassembler en un même point, reformant presque immédiatement le corps de cette Apolline.

« Frangibles un jour, cadavres toujours, s’était-elle esclaffée à peine reconstituée. Bon, j’avoue y être allée un peu fort, mais regardez ! Votre observateur a été épargné, les arbres aussi qui plus est ! On va pouvoir reprendre là où on en était. Woup ! Il faut que je fasse attention au sang par terre. Ces pattiers en ont mis partout ! Tous des dégueulasses, vous vous rendez compte ? »

Suivie de près par l’oiseau artificiel nous servant d’yeux et d’oreilles pour cette transmission, nous la vîmes repartir en sautillant gaiement sur les cendres ardentes, ultimes vestiges des sacrifices qui venaient d’être perpétrés ici. Avançant comme si de rien n’était, elle poursuivait sa route le long du sentier. Ce faisant, elle fredonnait un air que je ne connaissais pas.

Poursuivant inlassablement sa route le long du chemin, elle finit par arriver face à quatre femmes bâillonnées et ligotées, toutes allongées à même le sol. Les libérant une à une tout continuant à chantonner, la dénommée Apolline les positionna en deux rangées de deux.

« Voilà qui est parfait, s’était-elle réjouie. Il est temps pour nous de mettre les voiles ! »

Se retournant vers le colibri, elle expliqua :

« Elles, ce n’est rien ! Elles se promenaient entre amies quand je les ai croisées. Comme vous pouvez le voir, je me suis très bien intégrée au groupe ! Notre relation, c’est une grande histoire d’amour. Alors, voilà hein ! J’étais là, face à elles, avec toute une nuée de ces magnifiques oiseaux. Elles ont commencé à faire la course. Les pauvres n’étaient pas bien douées. Pas même fichues d’atteindre les quatre-vingt-dix kilomètres-heure. Du coup, je les ai vite rattrapées. Pas vrai les filles ?

– Oui, Madame, avait acquiescé l’une d’elles.

– Nous sommes amies toutes les cinq, n’est-ce pas ? Parce que si nous ne le sommes pas, cela serait regrettable… Woup !

– Non… Non, avaient-elles répliqué toutes en chœur.

– Ah, vous me rassurez… J’ai cru l’espace d’un instant devoir vous suspendre par les tripes à un arbre. Oups, s’était-elle reprise en se tordant de rire, j’ai encore fait dans la finesse, on dirait… Bon, pour me faire pardonner, on va y aller sans plus attendre. »

Pivotant d’une traite dans leur direction, elle recommença sans crier gare ce qu’elle avait fait quand elle s’était retrouvée acculée par les policiers. Volant en éclats, elle se transforma sans que nous n’ayons le temps de nous en rendre compte en la même tempête de fils que celle qu’elle était devenue auparavant.

Virevoltant autour des quatre femmes, celle-ci généra d’énormes quantités de fils de laine arc-en-ciel qui s’abattirent de nulle part sur elles et leurs arrières. Façonnant un monticule croissant, ces derniers semblaient se tricoter sans l’aide d’aiguilles prévues à cet effet et construire quelque chose ressemblant de plus en plus à un carrosse. Entièrement constitué de laine, celui-ci affichait une résistance qu’il n’aurait en aucun cas dû avoir s’il n’avait pas été le fruit de la magie.

Tandis qu’il finissait de prendre forme, des harnais se mirent à jaillir de sa partie avant et se lièrent aux pauvres malheureuses formant sagement deux rangées de deux face à lui. Ainsi, ce serait à elles qu’incomberait la charge de tracter cette hippomobile…Il était plus qu’évident que jamais elles n’en auraient la force.

Générant à nouveau une grande quantité de fils de laine, cette fois-ci de couleur noire, l’espèce d’ouragan filaire en projeta l’intégralité juste devant les quatre captives. Toujours sans se servir d’aiguilles, il tricotait quelque chose qui plus son travail avançait ressemblait à s’y m’éprendre à des chevaux, à savoir un pour chaque rangée. Tout comme pour ces femmes sans défense, un harnais les reliait à la structure principale de ce carrosse aux teintes arc-en-ciel.

Son œuvre accomplie, la sortiarius reprit presque immédiatement forme humaine. Elle portait sur son visage maillé un air des plus satisfaits.

« Contrairement aux apparences, s’était-elle exclamée, il ne s’agit pas de simples équidés. Regardez-les un peu mieux. Je les ai appelés les étalons, et pour cause, je vous invite à voir avec quoi ils se chaussent. »

D’un fuligineux prononcé, ces créatures avaient le regard vif et les yeux reluisant d’un rouge ponceau oppressant. Pour finir, et ce, à ma plus grande surprise, je constatais qu’ils avaient des chaussures à talons aiguille en guise de sabots. Honnêtement, en voyant cela, je ne savais pas si j’avais envie de rire ou de pleurer…

Se dirigeant vers l’une des femmes, cette Apolline se mit à lui tâter les seins. Curieusement, plus rien ne m’étonnait venant de cette siphonnée.

« Toi, lui avait-elle dit, tu allaites, n’est-ce pas ? Tes seins sont durs et leur mamelle pointue. C’est un détail qui ne trompe pas.

– Oui, Madame, avait fondu en larmes sa prisonnière. J’ai mon fils qui m’attend à la maison avec son père.

– Quand on sera arrivées à destination, je t’en prendrai quelques gorgées. C’est toujours meilleur quand c’est prélevé à la source.

–Non pitié… Je vous en supplie… »

Ne lui accordant pas davantage d’attention, la prétendue sainte ouvrit la portière de son carrosse, y monta, puis la referma derrière elle. Passant la tête et les coudes par l’ouverture de cette dernière, cette même censée accueillir une fenêtre, elle avait conclu d’une voix sereine et douce :

« Ah, j’oubliais ! Concernant tous ceux et celles qui ont pour projet de quitter la France, sachez qu’une surprise attend quiconque aura l’outrecuidance de passer la frontière, et ce, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Leur mémoire disparaîtra à l’instant même où ils pénètreront ou sortiront de l’État. Ainsi, cela nous protégera à la fois des traitres à la nation et de l’ingérence prévisible des autres pays. Tentez donc votre chance ! Je vous garantis que vous ne saurez même plus quel est votre nom. Alors, parler, encore moins. Peut-être même oublierez-vous jusqu’à votre réflexe de marcher, c’est dire… Avouez que l’aventure est attrayante, hein ! Alors, n’hésitez pas, je vous prie ! Moi, de toute façon, j’adore les légumes ! Sur ces belles paroles, je vais devoir vous laisser. Amusez-vous et profitez ! »

Ainsi, sous ces mots d’une banalité sans nom, nous venions d’apprendre qu’aucune échappatoire ne nous était possible. La France était devenue notre prison…

« Quant à vous, s’était-elle adressée aux captives juste avant de partir, si vous êtes sages, vous aurez droit de faire la ola une fois assises sur le bûcher. Allez, sur ce, mes chers téléspectateurs, je vous dis à bientôt. Le porte-épée s’occupera de couper la transmission de lui-même. Bye ! »

À peine sa phrase terminée, ses deux étalons se mirent à avancer, entraînant derrière eux par la force les quatre malchanceuses. Impuissante, l’immense majorité des Français, un pincement au cœur, les vit s’éloigner au loin. Un jour, cet acte de barbarie innommable devrait se payer. Si cette sortiarius était une sainte, alors moi j’étais pape…

Prenant un peu plus ses distances de seconde en seconde, de sa position penchée sur l’extérieur, elle nous faisait un au revoir en agitant frénétiquement sa main de gauche à droite.

De toute évidence, nous étions désormais face à un choix. Celui de nous soumettre ou de nous insurger. Pour ma part, le mien était fait. Aussi longtemps qu’il me resterait un souffle de vie, je me battrais pour nos libertés. Il était temps pour la Résistance de naître et de tout mettre en œuvre pour les arrêter. La guerre ne faisait que commencer…

Voilà pour ce qui est de ma chronique. J’espère de tout cœur qu’en lisant ces lignes, vous ferez le choix risqué, mais néanmoins nécessaire de vous joindre à la Résistance. Certes, il est possible que je ne sois en ce jour plus de ce monde. Cependant, vivant ou mort, je demeurerai à jamais un homme fier de s’être battu pour ce qu’il croit être bon.

Gloire à la Résistance ! Longue vie à la France !

Yuro Karkinovic, résistant de la première heure.

Suivez-nous sur Facebook !
Facebook Pagelike Widget
Newsletter
Tenez-vous informés de la sortie des prochains épisodes du roman feuilleton Sortiarius. ( vous pourrez vous désabonner à tout instant en seulement quelques clics )

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *