Sortiarius
Précédemment dans Sortiarius :
« Lors du précédent épisode, nous suivions le début du récit de Yuro, un résistant nous narrant ce qui s’est produit le jour du Grand Avènement. Mystérieusement apparu au beau milieu des jardins du palais de l’Élysée, il s’était retrouvé face à un véritable bain de sang.
Ayant perdu tout contrôle sur son corps, il s’était déplacé malgré lui jusque dans la salle des fêtes de la fastueuse résidence présidentielle. Il y avait alors rencontré trois mystérieux personnages. Le dénommé Malik semblait être leur chef. Non avare en paroles, il avait compté à Yuro l’histoire des sortiarius et des frangibles.
Peu avant cela, son alliée répondant au prénom de Rivqah avait mis à mort le chef de l’Etat en le dévorant après s’être métamorphosée en monstre.
Le discours de Malik terminé, Yuro fut libéré de l’emprise des sortiarius par la main glacée de Tunturi, la troisième d’entre eux, Il s’était alors retrouvé à nouveau sur son lieu de travail. Apparemment, la France tout entière avait vécu la même chose.
Qui plus est, à en croire les dires de leur chef, deux autres sortiarius n’allaient pas tarder à faire leur apparition. Tout ceci n’annonçait rien qui vaille… »
Épisode 2 : Mécaniques insondables.
Le 16 juillet : Chronique de Yuro
Deux heures plus tard, la France tout entière assista en direct sur toutes les chaînes de télévision à l’arrivée tant redoutée de l’un des deux sortiarius que la dénommée Toundra nous avait annoncés.
Ce faisant, toutes les télés du pays s’étaient soudainement mystérieusement allumées, leur son réglé à un niveau donné ne pouvant ni être coupé ni baissé. Il n’y avait nulle caméra sur les lieux que l’on y voyait. C’était comme si l’image réelle avait instantanément été projetée sur nos écrans.
Nous y vîmes en vue aérienne la place de l’Étoile. Celle-ci était bondée de monde, comme à son habitude. D’innombrables véhicules circulaient tout autour de l’immense rond-point du même nom. On y voyait l’Arc de Triomphe par le dessus. Beaucoup de touristes se trouvaient en son sommet, se servant des longues-vues mises à leur disposition pour observer à distance le paysage autour d’eux. Ils pouvaient y voir la tour Eiffel, le Champs-de-Mars et autres lieux célèbres de la ville.
Petit à petit, nous voyions alors l’image se rapprocher lentement de la structure jusqu’à passer en dessous de son arche. Encadrée par des bornes en métal reliées par des chaînes, la tombe du Soldat inconnu y était visible de tous. Sa flamme brûlant comme à son habitude, on pouvait lire sur sa stèle de granite : « Ici repose un soldat français mort pour la Patrie. – 1914 – 1918 – »
Un homme visible de dos avançait vers elle d’un pas indolent et semblait vouloir s’y recueillir, ou du moins, était positionné de manière à en donner l’impression. Arrivé face à la dalle, il déclara d’une voix de stentor :
« Oh, toi, soldat inconnu ! Tu pourrais aussi bien être Pierrot, cet homme de troupe français ayant farouchement combattu l’armée du Kaiser, que Günther, cet officier allemand ayant résisté de toutes ses forces jusqu’à son dernier souffle. Tu pourrais aussi être Jie, ce chinois tué lors d’un bombardement, alors qu’il n’était venu en France que pour le travail. Un boulot par ailleurs oublié de l’histoire de la Grande Guerre par l’immense majorité. Tu pourrais être tant de personnes. Contrairement à ce que l’on peut lire sur cette stèle, nul ne saurait dire de quelle nationalité tu es véritablement. Tu n’es rien, mais pourtant tant de choses. Peu de défunts ont été honorés avec autant de ferveur et de régularité que tu l’as été. Tes congénères frangibles ont fait de toi un symbole. Ah, comme tout ceci est risible… Tu n’étais pas grand-chose de ton vivant, si ce n’était de la chair à canon pour assouvir les ambitions de grandeur de bobos pleins aux as. Tu n’es aujourd’hui plus que la représentation d’un pseudo patriotisme visant à faire croire aux gens d’en bas que leurs élites sont unies à eux dans la douleur de ces évènements. Tu ne sers qu’à entretenir l’illusion d’un amour que vos élus éprouveraient pour le pays. Tout ceci n’est qu’un rêve éveillé qui se délite avec les années qui passent, la population étant de moins en moins crédule vis-à-vis de leurs petites manigances. Par conséquent, tu n’es plus que l’allégorie d’une croyance en laquelle plus personne ne croît. Celle en un état qui se soucie de son peuple plus que du profit et du pouvoir. »
Se retournant, l’homme nous dévoila enfin son visage. Il portait un haut-de-forme bicolore, vert perroquet sur sa moitié gauche et rouge cramoisi sur celle de droite. Ses yeux étaient bleus comme le ciel et ses cheveux d’un joli blond prononcé. Sa peau, quant à elle un petit peu mate, laissait à penser qu’il ne venait pas d’un pays nordique. Une barbe dorée légère donnait à son visage un caractère plutôt sympathique. De plus, une longue veste à manches amples, fractionnée en deux couleurs identiques à celles de son chapeau, se révélait être en parfaite harmonie avec ce dernier. Pour terminer, il était vêtu d’un pantalon noir et de bottines fuligineuses elles aussi. De toute évidence, cet homme était un excentrique averti.
« Bien le bonjour, avait-il dit en esquissant un sourire fort amical, je suis Absalon. Vous pouvez m’appeler Axel. Originaire d’Israël, je fais moi aussi partie des sortiarius dont vous venez tout juste d’entendre parler. Comme on a dû vous l’expliquer précédemment, mon rôle est de faire en sorte que l’ordre soit maintenu en France. Tout d’abord, permettez-moi de vous présenter mes petits amis si charmants. »
Au même instant, des colibris porte-épée se mirent à le rejoindre en battant de leurs ailes. Certains volaient en vol stationnaire face à lui, tandis que d’autres s’étaient posés sur son haut-de-forme et ses épaules. C’étaient de magnifiques oiseaux dont le corps et la queue ne mesuraient à eux deux réunis qu’un petit peu plus d’une dizaine de centimètres. Leur bec en pointe respectif, à la fois fin tout en étant aussi long que le reste de leur anatomie, leur donnait l’aspect caractéristique à leur espèce de la famille des Trochilidés.
Bien que ne pouvant être que touchés par le spectacle de leur venue, il était difficile pour les Français de passer outre la non-vie dont ces volatiles se faisaient les représentants. En effet, leur corps était fait d’un alliage marron cuivre inconnu. De toute évidence d’un poids faible prodiguant à ces répliques une légèreté proche ou équivalente à celle des animaux originaux, il n’en révélait néanmoins pas ses propriétés. Par ce, j’entends sa dureté, sa tolérance à la température et sa résistance.
« Mes petits amours sont faits d’adamante, un métal légendaire mentionné par Virgil lors de sa description du Tartare. Ne sont-ils donc pas magnifiques ? Ils sont mes yeux et mes oreilles. C’est d’ailleurs à travers leur regard que vous pouvez me voir sur tous vos écrans de télévision. Tant pis pour ceux et celles qui n’en ont pas. Ils ne sauront pas… »
Quel genre de sorcier cet homme était-il ? Il nous fallait le découvrir si nous voulions avoir une chance de tous les vaincre. La priorité était donc d’identifier la nature des pouvoirs de chacun d’eux. Deviner par quels subterfuges ils s’étaient pendant autant de siècles maintenus en vie. Il était évident qu’en l’absence d’informations plus précises, nos chances de les repousser étaient quasiment nulles.
« Mes petits chéris seront envoyés dans tout le pays. Il n’y aura rien qui leur échappera. Vos petits secrets n’en seront bientôt plus. Vous voyez, contrairement à vous, frangibles, notre amour de la nature nous pousse dans cette guerre à utiliser ces répliques de ce qu’elle a créé. Nous le faisons en respect pour cette vie si sacrée dont elle prodigue le monde. Certes, il est évident que beaucoup d’animaux se verront devenir les victimes collatérales de ce conflit, mais il s’agit d’un mal nécessaire à la survie de l’humanité, sortiarius comme frangibles. Quoi qu’il en soit, je vais maintenant vous montrer ce qu’il se passe en ce moment même tout autour de moi. »
Le colibri à travers le regard duquel nous suivions les évènements se mit alors à faire lentement un tour sur lui-même.
Des essaims de porte-épée balayaient en cercle le rond-point de l’Étoile, empêchant quiconque y étant de s’en échapper. Leur vitesse était telle que percuter ne serait-ce que l’un d’entre eux se serait avéré mortel pour qui en aurait eu la mésaventure. Le passage du Souvenir, souterrain passant sous la place de l’Étoile et permettant aux piétons d’accéder à l’endroit où se trouve l’Arc de Triomphe, était bloqué par ces mêmes créatures. Nul ne pouvait donc y accéder où s’enfuir.
Les gens situés sur le rond-point étaient émerveillés par la beauté de ces êtres artificiels. Beaucoup les prenaient en photos ou les filmaient. Très peu semblaient mesurer le danger, la situation étant que cet Axel s’était exprimé sans attirer le regard. Par conséquent, seuls ceux et celles ayant accès à un écran de télévision avaient en cet instant leurs yeux rivés sur lui. C’est pourquoi, malgré le danger imminent, les personnes autour de ce dernier avaient à peine fait attention à sa présence. Et puis, de toute façon, sachant qu’un colibri se déplace jusqu’à un peu plus de quatre-vingt-dix kilomètres à l’heure, il est difficile d’imaginer que ces malheureux aient pu avoir une chance de leur échapper.
Avec le recul, je n’arrive pas à comprendre comment les gens ont pu continuer à faire du tourisme et reprendre leur petite vie comme si de rien n’était après la vision que nous avions tous eue deux heures plus tôt. Je ne m’explique pas un tel déni de la réalité.
Finissant de tourner sur lui-même, le porte-épée nous prêtant sa vue nous fit à nouveau poser les yeux sur son maître. Celui-ci tenait désormais dans ses mains une pierre de la taille d’un œuf d’autruche. En partie constituée du même alliage que les formes de vie artificielles envahissant par véritables nuages les lieux, elle avait pour particularité de reluire d’un éclat d’or. Par ailleurs, elle en était faite d’un tiers, du moins en apparence.
« Ce que je tiens en ce moment est l’un de mes nombreux échecs, nous avait-il expliqué d’un ton enjôleur. Il s’agit d’une pierre philosophale ratée. Je l’avais créée lors de l’une de mes indénombrables tentatives pour acquérir la jeunesse éternelle. Bien que n’étant que partiellement réussie, elle n’en est pas pour autant inutile. Vous allez pouvoir en faire le constat par vous-mêmes. Voyez plutôt… »
S’avançant en direction de la foule, il pointa soudain sa pierre vers le haut à l’aide de ses deux mains. Celle-ci libéra au même instant une lumière si éblouissante que tous les écrans de télévision du pays devinrent blancs l’espace de quelques secondes. Toutefois, nous pûmes entendre le bruit de voitures s’entrechoquant les unes contre les autres. Des bruits de klaxons se mirent alors à retentir et à sonner inlassablement, comme si le conducteur de leur véhicule était resté appuyé dessus.
Lorsqu’enfin il fut possible de voir ce qu’il se passait, nous vîmes la pierre tomber en poussière d’or, s’écoulant tel un torrent entre les doigts de celui qui se fait appeler par les siens Absalon.
L’oiseau artificiel nous servant d’yeux et d’oreilles se mit alors à s’envoler au-dessus de l’Arc de Triomphe. Balayant les lieux du regard, il fit alors découvrir à la France entière l’étendue de l’horreur qui venait d’arriver. Que ce soient les automobilistes sur la place de l’Étoile, la foule se tenant sur le rond-point du même nom ou encore les gens sur la terrasse au sommet de l’illustre monument s’y trouvant, tous avaient été métamorphosés en or.
Des hauteurs, nous pouvions voir cet Axel se diriger en dessous de l’arche. Mais que mijotait-il ? Pour être honnête, nous n’étions pas pressés de le savoir…
Rejoignant à vive allure son propriétaire, le colibri nous le fit ensuite entrevoir se dirigeant calmement vers la tombe du Soldat inconnu, juste en dessous de l’arche.
« La quête de la pierre philosophale fut celle de toute une partie de ma vie, nous avait-il expliqué. Je suis parvenu à la fabriquer au terme de longs et douloureux efforts. Cependant, le risque en valait la chandelle… Elle a fusionné avec tout un monceau de mon âme jusqu’alors si perturbée par mes rêves d’immortalité. L’obtenir après tous ces siècles a été pour moi une délivrance, la jeunesse éternelle ne me suffisant plus. Quoi qu’il en soit, je resterai immortel aussi longtemps que ma pierre existera. Où se trouve-t-elle d’après vous ? Pensez-vous possible que je la garde toujours sur moi ? Ou bien l’aurais-je cachée ailleurs loin de tous les regards ? Qui sait pourquoi je vous donne une telle information… Peut-être suis-je joueur ? La réponse est non… La vérité est que vous divulguer mon petit secret ne change rien. Jamais vous ne la trouverez, cela, j’en suis absolument certain. Maintenant, avait-il conclu, si vous le permettez, je vais enchaîner… »
En toute sincérité, ce fut en écoutant ces mots que je réalisai à quel point nous débarrasser des sortiarius serait difficile. Je pensais jusqu’alors que nos ennemis n’avaient, en dehors de leurs pouvoirs, que l’avantage de l’âge lié à leur jeunesse éternelle. Or, celui-ci prétendait être immortel. Trouver cette pierre et la détruire me semblait être une tâche bien compliquée étant donné que nous ignorions tout de lui et de son histoire. L’avait-il sur lui ? Si tel était le cas, l’obtenir paraissait fort improbable. Serait-elle dissimulée ailleurs ? Ne connaissant rien de lui, les chances de la retrouver étaient proches de zéro.
Je me souviens avoir perdu tout espoir à cet instant-là. Je ne voyais pas l’intérêt de m’engager dans un combat que je savais perdu d’avance.
Cet Axel se tenait là, indifférent à la mort de tous ces pauvres gens. Imperturbable, il enjamba les chaînes délimitant la tombe, puis plaça son poing fermé juste en dessus de l’orifice à l’intérieur duquel brûlait la flamme éternelle. Desserrant sa main, il en laissa retomber un petit colibri d’adamante qui partit en fumée à peine entré en contact avec la bouche à feu.
Au même instant, la flamme commença à très rapidement s’étendre et prendre de la hauteur, avalant par la même occasion l’homme à l’origine de nos nouveaux tourments. Continuant inlassablement de croître, elle faisait désormais plus de deux mètres et poursuivait sa croissance. À ce rythme, il était évident qu’elle recouvrirait d’ici peu l’intégralité de la sépulture.
« La forge d’éther est en train de se former, s’était alors exclamé l’homme de sa position au milieu de la flamme. D’ici moins d’une minute, elle sera achevée. »
Visiblement insensible au feu, il maîtrisait de toute évidence la situation. Se rapprochant d’un pas tranquille du colibri nous retransmettant son image, il enjamba les chaînes encadrant la tombe, puis poursuivit son monologue un air joyeux au visage.
« Regardez comme elle est belle, avait-il ajouté fièrement tout en nous laissant entrevoir la pointe incandescente de la flamme s’élever plus haut encore. N’ayez nulle crainte, sa chaleur n’attaque pas la chair. Si vous vous laissiez tenter par ses caresses brûlantes, vous n’en ressentiriez même pas la température. Le monument aussi ne risque rien. Et pour cause, la forge n’interagit qu’avec une seule chose… »
En entendant ses dires, il était difficile de ne pas se demander de quoi il s’agissait. Ce qui, à notre grand dam, n’allait pas tarder à nous être expliqué. Si seulement la réponse avait été différente…
« Le moment est venu pour mon petit porte-épée adoré de vous montrer la beauté de la flamme d’éther chatouillant délicatement le plafond de l’arche. »
Sur ce, le colibri lui faisant office de caméra se mit à prendre de l’altitude. Plus il en gagnait, plus nous pouvions constater à quel point la langue de feu face à nous s’élevait.
S’arrêtant subitement de prendre de la hauteur une fois arrivé à plus de vingt-cinq mètres, l’oiseau artificiel se mit à lever la tête tout en se maintenant en vol stationnaire. Ce que nous découvrîmes alors accroché au sommet de l’arche nous horrifia comme nous n’aurions jamais pu l’anticiper.
Se tenant à quatre pattes accolée à la mosaïque de fleurs recouvrant le plafond, une créature humanoïde géante, visiblement faite en partie du même matériau que les oiseaux, était comme aimantée à sa surface par une force mystérieuse.
Ses yeux avaient l’iris anthracite et sa peau était un savant mélange de blanc écru et du même marron cuivre que celui de ses compères volatiles. Se laissant retomber au sol, il se redressa rapidement et se mit à se diriger vers le centre du rond-point de l’Étoile.
Son corps était lisse et nu, sans sexe ni forme de poitrine, si bien qu’il était impossible de déterminer si cette chose était féminine ou masculine. Dénué de cheveux, son crâne était lisse. Haut d’environ une quinzaine de mètres, ce titan était de loin la chose la plus impressionnante que j’avais vue au cours de ma vie.
Lentement, mais surement, le colibri auquel nous empruntions le regard commença à redescendre jusqu’à se retrouver à hauteur d’homme avec le sortiarius qui nous avait conviés par le biais de cette projection à assister à ce triste spectacle. Se tournant subitement vers lui, il fit par la même occasion sortir de son champ de vision le golem que nous trouvions tous si inquiétant.
À ce propos, je me souviens m’être à ce moment fait la réflexion de comment il était arrivé jusqu’ici sans que personne ne le remarque. Et surtout, pourquoi les gens présents sur la place de l’Étoile ne l’avaient-ils pas aperçu ? Avec une taille pareille, il était difficile de passer à côté de sa présence.
« Je vous imagine derrière vos écrans, s’était esclaffé cet Axel, il y a tant de questions que vous devez vous poser et vous n’aurez la réponse que pour peu d’entre elles… Je ne vous expliquerai que ce que j’estime avoir envie de vous dire. »
Devant le constat de ce que cet homme était capable d’accomplir à lui seul, je me sentais dépassé et empli d’une inquiétude grandissante.
« Le gardien d’éther est un être ayant l a faculté de se rendre invisible et intangible aux yeux de tous, avait-il joyeusement repris après un bref temps de silence. Je l’ai conçu il y a bien des siècles à l’aide d’adamante et d’antimoine. Il n’y a donc rien d’étonnant au fait qu’il soit resté inaperçu lors de son arrivée en ces lieux. »
Se déplaçant sur sa gauche, il libéra soudain la place afin que son géant qui s’engageait alors sous l’Arc de Triomphe, une personne métamorphosée en or dans chacune de ses mains, puisse rejoindre la forge. On pouvait entendre le sol craquer sous chacun de ses pas. C’était saisissant…
D’un mouvement vif et bref, le golem projeta tour à tour dans l’immense flamme les deux malheureuses victimes qu’il tenait entre ses doigts vigoureux et implacables. Celles-ci furent presque immédiatement consumées par le feu ardent de cette dernière, disparaissant ainsi à tout jamais.
Jusqu’à ce moment précis, j’étais intimement persuadé que les évènements ne pourraient pas prendre un cours plus critique. Hélas, je me trompais lourdement…
Deux individus émergèrent de la forge. Quoique, ce terme n’était sans doute pas le plus approprié pour faire allusion à eux…
Entièrement constitués d’or, ils avaient les jambes fines et longues de plus d’un mètre cinquante. Leur buste particulièrement mince faisait penser au corps d’un serpent auquel on aurait assorti deux bras aux mains griffues sur sa partie supérieure. Sa longueur, toutefois, ne dépassait pas le mètre. Elle n’en demeurait pas moins intimidante, ses griffes de vingt centimètres aidant, il est bien de le préciser.
Similaires à d’immenses serres d’aigle, leurs pieds leur prodiguaient une apparence encore plus menaçante. Néanmoins, le plus oppressant était situé à l’extrémité de leur corps ophidien. En effet, une gueule pleine de dents acérées faisant penser par sa forme à celle d’un alligator se trouvait à l’embouchure de leur buste de serpent. Et ce n’était pas tout…
Dépourvus de nez, ils avaient un œil reptilien des côtés gauche et droit de l’embout reliant leur tronc à leur effrayant pertuis buccal. Par ailleurs, leurs iris respectifs étaient du même anthracite que celui du gardien d’éther. Cette couleur était sans doute relative à leur origine artificielle.
Pour finir, leur hauteur n’était pas exactement la même. Celle-ci devait sans doute dépendre de la quantité de matière de départ jetée au feu.
Déjà, le golem repartait chercher d’autres personnes à jeter dans la forge, cette fois assisté par ces choses visiblement douées d’une force titanesque. À ce rythme, je savais qu’il ne faudrait pas longtemps pour que tout l’or de la place de l’Étoile finisse dans la flamme. Transi de peur devant ma télévision, je me demandais qui seraient après eux les suivants…
« Les wendigos participeront activement à la politique menée par mon amie sortiarius chargée de la gestion de la démographie. Leur action ne se limitera donc pas au seul maintien de l’ordre. Vous verrez, ils vous réserveront quelques surprises que vous ne serez pas près d’oublier. D’ailleurs, mes merveilleux porte-épée auront eux aussi leur rôle à jouer. Ils seront nos yeux et nos oreilles. Il y en aura dans chaque rue, ville et village. Vous en trouverez dans vos forêts, mais aussi sur la côte, Atlantique comme Méditerranéenne. Ils sauront s’occuper de vos bateaux, croyez-le bien… Rien ni personne n’échappera à leur vigilance. »
Tout devenait désormais limpide quant à la tournure que prendrait notre futur proche. D’ici peu, ces wendigos allaient faire des rondes dans tout le pays. Plus les gens seraient transformés en or, plus le nombre de ces créatures à voir le jour augmenterait. L’avenir était sombre, à n’en pas douter…
« Très bien, voilà qui conclut ma prestation. Tenez-vous prêts pour la venue de la dernière d’entre nous. Fin de la transmission… »
Au même instant, tous les écrans de télé de France s’éteignirent brusquement. Il ne nous restait plus qu’à attendre. Nous pensions alors avoir connu le pire… Hélas, les traumatismes à venir allaient nous démontrer à quel point nous n’avions pas idée de la portée avec laquelle nous nous méprenions…